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De l’art de trouver une famille dans un shithole country

Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre en allant à Sadhana Forest Haïti. Je sais qu’Haïti fait partie de la liste des pays les plus pauvres du monde, il tient d’ailleurs le haut du podium sur le continent américain. Beau palmarès ! Mais à part ça… cela restait assez abstrait pour moi. Le chaos de la République Dominicaine fut une bonne entrée en matière. En tout cas, j’étais contente d’arriver à Pedernales après les 7 heures de bus serrés comme des sardines, une seule pause pipi.

Je vais vous parler d’Haïti, et plus particulièrement d’un tout petit bout d’Haïti, la ville d’Anse-à-Pitre, à l’extrême sud-est du pays, à la frontière avec la Rep Dom. Ansapit et Pedernales sont en quelque sorte des villes jumelles, séparée par une frontière poreuse, 20 minutes de marche de centre à centre, et deux cultures profondément différentes, mais indéniablement reliées à ce point précis du monde.

Moi, à la frontière poreuse, un pied en République Dominicaine, un pied en Haïti !

Ce qui surprend à première vue (abstraction faite des déchets partout, mais Santo Domingo t’y prépare un peu), c’est la sécheresse et la poussière. Tout est sec. Quelques arbres, quelques cultures, mais à part ça, aridité et poussière. Désert sous le soleil. Cactus. Différents types d’acacia. Pas d’herbe. Qu’est-ce qu’elles peuvent bien brouter toutes ces vaches et ces chèvres ? Et le vent qui soulève cette terre en souffrance. Me raser la tête fut une libération poussiéreuse, si tu vois ce que je veux dire !

En esta tierra que arde hecha de sol y de arena.

Ray Montana
Auré et toute sa petite famille !!!

Auré, le responsable de Sadhana Forest Haïti, m’attendais à ma descente du bus. Putain d’yeux verts à tomber par terre ! Verts ou bleus ??? Merde, ché plus… en tout cas j’ai mis plusieurs jours à m’en remettre. Ou pas… Ils t’enveloppent de douceur et de joie. Ça, je m’en souviens très clairement. Je remplis les formalités douanières sans problème et me voilà en Haïti. En fait, je vais traverser cette frontière une multitude de fois. En tant que blanche, on ne me demandera rien. Les allers et venues entre Ansapit et Pedernales sont libres. Je ne repasserai par ces formalités qu’en quittant définitivement Haïti trois mois plus tard.

Aviram, qui retrouve une petite fille qu’il a vu naître quand il créait Sadhana Forest Haïti

Sadhana est le rêve d’un homme, Aviram, et de sa famille. J’ai eu le plaisir de le rencontrer pendant mon séjour, accompagné de sa fille Oshir. Le projet a vu le jour à Auroville en Inde. Puis il y a eu Haïti et le Kenya. À la base, Sadhana Forest, comme son nom l’indique, est un projet de reforestation. En Haïti et au Kenya, cet objectif se couple de la nécessité de faire pousser de la nourriture comme lien économique et social, et d’autonomie alimentaire, bien évidemment. Le projet haïtien a 9 ans maintenant, ce qui est une prouesse dans ce pays. Les associations ne tiennent généralement pas plus de 3 ans. Mais Sadhana est là pour rester, c’est certain !

J’arrive à Sadhana en même temps qu’un groupe d’américains venus construire une aire de jeu pour les enfants en pneus. On fait le tour du propriétaire, on signe les documents de décharge habituels. Je suis choquée par un point : alcool interdit, même en dehors de Sadhana. Comment vais-je survivre sans mon p’tit verre hebdomadaire/mensuel ??? Respecter le règlement intérieur, manger végan, ne pas sortir la nuit non accompagné, toussa toussa, ok, je veux bien. Mais un p’tit verre de rouge ou un mojito ??? Je ressens comme une ingérence intrusive dans ma vie avec toutes ces règles. Allez, 3 mois, ça va le faire… 

Je suis arrivée un jeudi. Auré m’autorise à ne pas faire les sevas (corvées/aides collectives/service volontaire) le lendemain pour pouvoir m’acclimater. Et je l’en remercie vivement ! L’appropriation de mon nouveau chez-moi fut laborieux. Je me suis même demandée si j’allais rester ! Les premières 48 heures m’ont donnée du fil à retordre. Comme à tout le monde en fait. Comment se passent les repas ? Et la cuisine ? Et la vaisselle ? Comment se déroulent les activités ? Comment prendre une douche ? Comment utiliser ces putains de toilettes sèches ??? Tout est nouveau, tout est à apprivoiser. Et moi avec dans un tel contexte. À ma grande surprise, j’y arrive finalement très bien. En quelques jours je prends mes marques et me sens chez moi. 

On va planter tous les jours de la semaine. Auré vient chanter sous nos fenêtres tous les matins à 5h40. Oui, il chante. Des chansons douces venues du monde entier.

Et il nous souhaite le bon jour ! La tête encore dans leuk, pipi, habillage, et on se retrouve tous sous la grande hutte principale à 6 heures pour une séance de stretching. Moi, je ne stretche pas. Je préfère grommeler dans ma tête et faire mine de méditer un peu, histoire d’essayer d’arrêter les grommèlements dans ma tête. 6h15, il fait encore un peu nuit, on attrape pelles, baramines, et seaux de compost, et en route pour planter des arbres avec toute l’équipe.

Nixon fait partie de l’aventure de Sadhana depuis pratiquement le tout début. Il est d’ailleurs parti 6 mois en Inde pour se former aux techniques et préceptes de l’association. Ses connaissances sont précieuses. Il est également quelqu’un de bien implanté dans la communauté, ce qui est un énorme avantage pour l’intégration de l’association dans cet environnement. Il a construit sa propre école où il enseigne aux enfants tout ce qu’il y a à être enseigné, mais aussi la permaculture et la nécessité des arbres.

Patti a perdu son frère lors d’un accident de moto pendant mon séjour là-bas. Une catastrophe pour lui et sa famille, sa mère notamment. Bref, dur moment. Mais Patti est quelqu’un de discret, difficile d’entrer dans son monde. Je comprends. J’adorais le voir observer le monde. Quand quelque chose l’interpelle, il s’arrête, regarde attentivement. Tu vois qu’il enregistre les informations et les traite dans sa tête puis, traitement fini, il en tire les conclusions qu’il a à en tirer, va savoir lesquelles, et se remet en route. Passionnant ! Je suis extrêmement curieuse de savoir ce qu’il se passe dans sa tête dans ces moments-là. Je le soupçonne d’être très intelligent et de bien le cacher, le petit coquin ! Il va finir vieux sage !

Romain est un enthousiaste, je crois qu’il ne fait pas les choses à moitié. Quand il s’intéresse à quelque chose, il est au taquet. Ses progrès en anglais sont fulgurants. Et quand il parle de son Église, il défend son point de vue bec et ongles malgré les petites ricaneries de ses camarades. Droit dans ses bottes !

Je vous présente enfin Larousse. Larousse Tout-Puissant. Yup, c’est son vrai nom ! J’adore ! Et ça lui va comme un gant. Il est passionné de connaissances. Il ne jure que par ses études. Il participe à des concours de culture générale les dimanches pour le plaisir. Son cerveau ne s’arrête jamais. Et sa bouche non plus ! Tu sais toujours où trouver Larousse, il suffit de suivre sa voix ! Il est curieux, il est ambitieux, il est persuadé que sa tête le rendra riche et heureux. C’est tout ce que je lui souhaite. S’il n’oublie pas son grand cœur en route, il ira loin.

Plantage d’arbres au lever du soleil. Le pied !

Toute l’équipe et les volontaires vont donc planter des arbres chez les gens pendant deux heures. Je sais maintenant différencier les plants de chocogou, avocat, et manguier. Et c’est vraiment pas évident à la base. Pour résumer, ils ont tous les trois une tige et des feuilles, tout pareil. Voilà voilà. Ou presque. Ce qui aide à les différencier, c’est la tige : grise pour le chocogou, marron pour l’avocat, verte pour le manguier. Tadaaaa ! Non parce qu’au début, quand on me disait “passe-moi un manguier” c’était du chinois, comme “passe-moi la clé de 12” !!! Mais maintenant, je sais !

La fine équipe !

C’est une chose intéressante de rentrer dans la cour des gens et de planter des arbres. Bon, déjà, il est plutôt courant de rentrer dans la cour des gens là-bas, de s’en servir de raccourci notamment, ce qui me mettais extrêmement mal à l’aise au début, un petit peu moins mal à l’aise à la fin. La propriété privée et l’intimité (tu verras de quoi je parle dans la partie consacrée au marché) ont une autre signification ici. La proximité n’est pas un problème. Elle est même inévitable. Et l’individualisme un concept quelque peu inexistant.

Ce qui perturbait beaucoup Sam. En bonne américaine imbibée de libéralisme et de liberté à tout prix, elle s’interrogeait sur les fortes valeurs de communauté véhiculée dans la société haïtienne. Pour qui n’est pas habituée, il est en effet déconcertant de se mettre en ménage avec son amoureux haïtien, de louer une maison, c’est-à-dire une seule et unique pièce dont un simple rideau te sépare de l’autre famille locatrice, et de voir la belle-sœur squatter leur lit pour leur première nuit “à la maison” avec son nouveau-né, parce que c’est dangereux pour une femme de dormir toute seule avec son bébé. Choc des cultures. 

Dans la cour des gens…

En tout cas, moi, rentrer dans la cour des gens pour y planter des arbres, ben ça me faisait quelque chose. Rentrer dans leur intimité, dans leur vie, travailler sous leurs yeux à faire un acte militant et essentiel pour leur futur quotidien, ben ça remue des choses. C’est comme apporter du luxe dans la poussière, du confort dans la dureté, un peu de futur dans l’éternel présent aride. Tu te rends compte que pendant mon séjour, on en aura planté environ 450 ! Trop de fierté ! À supposer qu’il n’y en a que la moitié qui survit. À supposer qu’il n’y en a que 10%, genre pessimiste de chez pessimiste, ben ça fait quand même 45 arbres, qui donneront des fruits, et de l’ombre, et de l’humidité, et des graines pour les ânes et les cochons, et un abris pour les insectes et les oiseaux… la vie quoi !

Ô merveilles !

8h15 petit déjeuner. Ô bonheur ! Non mais goûte-moi ces fruits ! Papaye, mangue, corossol… mûrs à point, explosion pour les papilles. J’étais persuadée de ne pas aimer ces fruits jusqu’à ce que je vive dans les Caraïbes. C’est autre chose que ces trucs indignes que l’on trouve au supermarché en métropole… Et les ananas. Et les bananes. Et les custard apples. Aaaah ! 

9h15 second seva. Ah… le second seva. C’est là où les choses se compliquent pour moi. Pour deux raisons : la cuisine et le marché. Deux sources de stress monstrueuses. J’ai galéré ma race, j’te raconte pas. Enfin si, j’te raconte. Je devais absolument être autonome dans ces deux tâches, puisque je restais longtemps et que je faisais partie du « staff permanent ».

Le challenge de la cuisinière…

Commençons par la cuisine. Bon, déjà, c’est de la cuisine à l’ancienne, au feu de bois. Je crois bien que c’est la toute première fois de ma vie que j’ai allumé un feu de bois ! Quelle aventure ! Et quelle responsabilité… tu cuisines pour tout le monde, en grande quantité, chose que je n’avais jamais fait avant non plus. Et en plus il faut que cela convienne au palais des habitués pour qui le riz-haricot est sacralisé. Et moi j’ai tendance à mettre trop de légumes et pas assez de sel. Critique intraitable. Pression insoutenable. Donc un feu à entretenir, beaucoup de légumes à peler et découper, et, et, et, cerise sur le gâteau, une noix de coco à râper, pour les protéines (communauté végane, j’te rappelle). C’était l’enfer ! J’y laissais des bouts d’ongles et de doigts ensanglantés. Tant pis pour le côté vegan… 

Bibi is in ze kitchen!

Et le marché. On en parle du marché ??? J’évoquais les différences de perception de l’intimité et l’individualité plus haut (mais si, suis un peu !). Et ben le marché est tout l’inverse !!! Tu marches littéralement par dessus les gens. Sérieux ! Les gens sont assis par terre à vendre leurs produits et toi tu les enjambes pour passer en jouant des coudes et du “c’est le plus bourru qui passe en premier”. L’enfer… La notion de courtoisie est inexistante. Apprendre par la pratique. Et faire comme si agir de même était normal. J’te jure, c’était dur. Mais je l’ai fait ! Plusieurs fois ! En respectant le budget et la quantité et la qualité. Je peux être très fière de moi !!!

Nope, je n’ai pas d’image du marché. J’avais d’autres préoccupations j’te dis…

11h15 repas, mais l’horaire est changeant… Riz-haricots donc. Et crudités. Puis après-midi de libre. Les WE aussi. Et les jours fériés. Plus nombreux qu’en France, mais moins nombreux qu’en Guadeloupe. Hé hé !

Je ne vais pas te cacher que le régime haïtien fut un peu compliqué pour moi. Je t’épargne les détails mais les haricots, ça passe plus. Encore aujourd’hui, je cours au toilettes si j’ai le malheur d’en croquer 3 grains par hasard. Pourtant j’aime ça, le riz-haricot ! C’est vachement bon, le riz-haricot. Mais mon corps n’est plus d’accord. Saleté. À un moment donné, je me suis même arrêtée de manger parce que ce n’était plus possible. Y’a pas mieux que 5 jours de jeûne pour te requinquer !!!

Petit lettering pour remercier mon spot préféré !

Les premières semaines, j’ai eu de sérieux cravings de chocolat et café, à en rêver la nuit ! Surtout le café, alors que ce n’est pas quelque chose d’indispensable normalement. Deux ou trois fois par semaine, après le repas, je me fendais de ma demi-heure de marche sous le soleil zénithal pour me rendre au restaurant Ibiza à Pedernales, et siroter le précieux café con leche. Le pied ! En plus, z’ont du wifi ! J’y ai passé beaucoup de temps. Personnes un peu froides au premier abord, mais à force d’habitude et de sourire, j’étais la bienvenue, même si j’y passais trois heures et ne prenait qu’un café. J’étais chez moi. Il est très important pour moi d’avoir un lieu où me poser pour travailler, avec un café. Saint Martin, Old San Juan, Santo Domingo, Pedernales. J’ai à chaque fois trouvé mon endroit. Je n’ai pas encore trouvé le mien à CDMX, même si le Starbucks Alameda remplit son rôle. Cependant, un petit coin de verdure ou une terrasse ombragée serait grandement appréciable. Dans quelques jours je m’installe à Coyoacán, je me mettrais en quête du spot idéal !

Le reste de la journée se déroulait tranquillement. Lire, écrire, respirer, se promener, observer. Être dans le moment présent. 

20 heures, tout le monde au lit. C’est que demain, 5h40, on recommence ! Comme à chaque fois, s’habituer aux bruits de la nuit. Chaque endroit a sa propre signature auditive nocturne. Là c’était les chiens, les ânes, et les chants de cérémonies vaudous. Et le merveilleux ciel étoilé, et l’odeur des neems en fleur. Et le soleil qui se lève sur la colline aux cactus. 

Le lendemain on recommence. 5h40, chant d’Auré à l’aurore.

Je me rends compte en me relisant combien ce séjour était challengeant pour moi. De vraies difficultés physiques et émotionnelles. Et des bébés tarentules qui te grimpent dessus. Pourtant je ressens une vraie sérénité en repensant à ce lieu. Une énorme gratitude. Beaucoup de fierté d’avoir fait partie de ces gens. Et un gros vide dans ma vie.

Dormir dans mon hamac me manque.

Vous me manquez tous. Merci. Je vous aime. (Pas pleurer, pas pleurer…) (Marine et Lili, je ne vous oublie pas <3)

Et toi, tu as un endroit dans le monde où tu sais que tu pourras t’y reposer, t’y ressourcer, y être accueilli.e avec amour et bienveillance, te sentir chez toi ?

2 comments

  1. C’est le premier article que je lis de toi, une belle manière symbolique pour moi de sauter le pas! Merci pour tes mots Virginie, merci pour les souvenirs, je me sens proche de toi de l’autre côté du monde, on partage cette bulle nostalgique!
    aaah.. je t’envoie des mimis de baveuse française, à bientôt dans le monde!

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