C’est une option qui revient très souvent sur le tapis. Je ne suis pas sure que cela soit la meilleure idée, mais comme elle m’est beaucoup suggérée, je me dis qu’il serait peut-être pertinent de l’étudier. Ce n’est pas aussi simple que cela en a l’air.
A priori, je ne suis pas du tout emballée par le concept. Mais du tout du tout du tout… bref…
Viens, on va y réfléchir ensemble !
Quitter Haïti
Bah oui ! Déjà, premier problème. Comment quitter Haïti ? C’est pas comme si on n’était pas en pleine pandémie mondiale !
Tout d’abord, sache qu’il est hors de question que j’aille prendre l’avion à Port-au-Prince. C’est super dangereux en ce moment. Ça tire et kidnappe dans tous les sens, et la route de l’aéroport est régulièrement bloquée et prise en otage par les bandits. Ça se calme un peu ces derniers jours mais je n’ai pas du tout envie de tenter le diable. Donc non, pas Port-au-Prince.
Je quitterai Haïti par la République Dominicaine. Pour cela, encore faudrait-il que la frontière entre les deux pays réouvre officiellement pour que je puisse faire tamponner mon passeport. Ça a l’air de bouger de ce côté-là. Le nouveau président Abinader a renforcé la sécurité frontalière et envoyé des militaires, en prévision de la réouverture, je suppose. Je l’espère.
Donc déjà, je ne peux pas quitter la Isla Española comme je le veux, ni quand je le veux.
Quitter Sadhana
Quitter Haïti veut aussi dire quitter Sadhana. Laisser tomber Sadhana même. Oui je sais je sais je sais, Sadhana était là avant moi et le sera après, certes, mais je ne peux pas les laisser en plan du jour au lendemain. Même si c’est ce que le précédent Project Director a fait… Il faut prévoir un minimum la passation de pouvoir ! Les clés, la paperasse, le coffre-fort, la paye, l’organisation, toussa toussa, ça ne s’improvise pas. Heureusement que j’avais 22 ans d’assistanat derrière moi quand cela m’est tombé dessus. Il faudrait donc que Sadhana trouve un.e remplaçant.e et que je le.a forme et, seulement à ce moment-là, je pourrais partir la tête haute et dire au revoir à ceux qui m’ont si généreusement accueillie.
Il y a 7 personnes, c’est-à-dire 7 familles, qui comptent sur l’organisation. Leur vie est suffisamment difficile, je n’ai pas envie d’en rajouter une couche.
Garde-robe
Admettons. J’arrive en France. En plein hiver. ET JE N’AI MÊME PAS DE PULL !!! Sans déconner ! Genre là, je mets les pieds en France, je gèle. Cela fait 8 ans que je vis dans la Caraïbe les gars. On passe en dessous des 25 degrés Celsius et je m’emmitoufle dans mon hoodie et j’attrape un rhume.
Je suis quelqu’un d’hypersensible au froid. Depuis toujours. Je suis dessinée comme ça. Donc je dois me protéger et la garde-robe est primordiale, un véritable investissement. Et je n’ai même pas de quoi m’acheter un pull…
Et puis il faut que je t’avoue un truc… tu vas voir, c’est moche… Je ne veux pas de fringues d’occasion… Pas taper ! En fait, j’ai beaucoup de mal avec la seconde main. Déjà, c’est impossible de s’y retrouver dans le fatras et surtout, ça me fait comme si j’utilisais la brosse à dent de quelqu’un d’autre… tu vois ce que je veux dire ? Être dans les fringues ou les chaussures d’une autre, qui sait ce qu’elle a bien pu faire avec…
Je te laisse avec ton imagination… moi, ça me dégoûte… Donc garde-robe neuve siouplé.
En plus, je kiffe l’idée de prendre un vêtement, ou n’importe quel objet, neuf, et de l’emmener au bout. J’aime l’idée que l’on fasse tout le chemin ensemble, juste lui et moi. Récemment, ma robe préférée s’est retrouvée avec un gros trou laissant apparaître mon téton gauche. Va savoir. Et bien je l’ai remerciée pour toutes ces années passées ensemble, je l’ai découpée, et maintenant j’ai plein de mouchoirs !
Logement
Comme le climat continental diffère grandement de mon climat caribéen d’amour, tu te doutes bien, je ne vais pas dormir dehors. De plus, étant donné la situation de mon compte bancaire désespérément à découvert, je vais devoir squatter chez des gens.
La grande question est donc : chez qui ?
(Oui, c’est tout, je n’ai pas la force psychologique de développer ce point-là)
L’autre grande question est : pendant combien de mois ? Non parce que là, le temps de trouver un job (on en parle après), puis de trouver un appartement, bref, de me refaire, mon errance va se compter en mois. Ce ne sont pas choses aisées en métropole. T’as vu le contexte économique ?
Du coup, autre question, en attendant, je subviens comment à mes besoins personnels ? Parce qu’en plus d’être logée, je vais devoir être entretenue… PENDANT PLUSIEURS MOIS… j’te jure, ça me trou le cul… Personne n’acceptera jamais ce rôle. Je n’accepterai jamais que quelqu’un endosse ce rôle.
Les services sociaux
J’y pense. Hébergement d’urgence. RSA. Liste d’attente. Au fait, je vais où ? Dans quelle région, quelle ville ?
Je me souviens avoir déjà été accueillie par les services sociaux d’urgence, mais j’étais une femme battue, en danger chez moi, donc en priorité (après celles avec des enfants, of course). Je me souviens ne pas avoir pu profiter de leurs services lorsque je suis devenue SDF la première fois, parce que je n’étais plus en danger. J’étais simplement en errance… On en est là. Assume tes conneries ma grande. Qui m’héberge ???
Travailler
Parce que le RSA, ne rêvons pas, il va à peine couvrir mes frais bancaires. Ça ira mieux en avril prochain quand mon prêt sera totalement remboursé mais en attendant… Il faut que je trouve du travail. Ha ha ha ha ! La bonne blague ! Refaire des CV, des entretiens d’embauche…
DES ENTRETIENS D’EMBAUCHE !!! Non mais tu m’as bien regardée ?!?! Je ne suis plus en capacité de jouer ce jeu d’hypocrites. Sérieux. Le recruteur, il va pas comprendre ce qui lui tombe sur la tête. Si tu connais quelqu’un qui a besoin d’une autiste adepte de l’honnêteté radicale dans son entreprise passionnée d’organisation, tu me dis, ça m’intéresse !
Hey ! Je t’entends toi là-bas, bien sous tout rapport, qui te dis que j’y mets quand même beaucoup de mauvaise volonté. Va te faire… Je me suis conformée, déformée, usée, brisée, à ce jeu-là jusqu’à mes 43 ans. Hors de question que je retourne vers cette mort à petit feu. Je préfère croupir et crever ici.
Et la culture d’entreprise de merde en France, on en parle ? Mouais… non… j’ai pas envie. Le présentéisme, le tirage dans les pattes, les tâches vides de sens, la hiérarchie morbide. Planter des arbres, c’est quand même plus chouette. À perdre mon énergie, autant que cela serve à quelque chose.
Métro-boulot-dodo
Voilà la merveilleuse vie qui m’attend en France. Après avoir passée des mois à squatter les amis, je vais passer des années à faire des choses vides de substance avec des gens lobotomisés, trimballée pendant des heures dans les transports en commun bondés, pour gagner à peine de quoi payer mes charges mensuelles. Le tout sur fond de pandémie mondiale. Et je la trouve où l’énergie pour créer un business en ligne qui me permettra de reprendre mon tour du monde ? Hein ?
Donc, tout ça demande beaucoup de moyens et de temps. Et franchement, si j’ai les moyens et le temps de retourner en France, j’ai les moyens et le temps de reprendre mon tour du monde !
Une enfant
Le plus dur à encaisser dans ma situation est le manque total de liberté. Mes axes sont désintégrés. Mon corps (nourriture, sommeil), ma tête (dépression, brouillard, vide intersidéral), mon cœur (faire ce qui me nourrit), mon temps (dédié à Sadhana), et mon espace (où je suis), ne m’appartiennent plus. Je ne vois pas le bout du tunnel. Même quand j’étais enfant et que j’en chiais ma race, au moins, j’avais la perspective de mes 18 ans mais là, rien. Horizon bouché. Emprisonnée dans mon propre labyrinthe.
(J’éclate en sanglot d’écrire ça)
Et retourner en métropole ne me propose pas cette sortie.
Ou peut-être ne suis-je pas en capacité de la voir. T’en penses quoi de tout ça ?