Il est 6 heures du matin. Le réveil sonne. Je peine à sortir du hamac, mais l’idée du café qui m’attend sur la table me motive. Accompagnée de ma tasse bien chaude, je guette le moment où le soleil va émerger au dessus de la montagne et réchauffer mon corps engourdi par la nuit et la fraîcheur.
Après un petit briefing avec Jeff, j’enfile mes Doc Martens et hop ! Au boulot !
Je dois t’avouer que je me suis posé beaucoup de questions sur moi-même et sur la façon dont j’allais vivre le wwoofing. N’y connaissant rien, je m’interrogeais sur la difficulté du travail, le côté physique, main dans le cambouis. Allais-je être à la hauteur ? Je me doutais que le wwoofing me plairait. La première fois que j’en ai entendu parlé, j’ai trouvé le concept formidable. Je te confirme la formidabilité du bitin maintenant que j’ai essayé. Il y a très certainement autant de types d’expériences qu’il y a de fermes, et je suis extrêmement reconnaissante d’être tombée sur Jeff et sa Buena Fruta Farm pour ma première fois.
Un petit tour à la ferme
Les 14 acres de la propriété s’étalent sur les hauteurs de Mayagüez, côte ouest de Puerto Rico. Le terrain est très montagneux. À part le coin nursery, tout n’est que collines et pentes escarpées, un sacré challenge pour mon corps de secrétaire habile comme un fauteuil de bureau à roulettes. Y’a pas marqué « bouquetin des Alpes », là !
La maison de Jeff est accrochée à la colline. Mais qui a besoin d’une maison quand toute la vie se passe dehors, à l’ombre des terrasses et des arbres ? Cuisine, salon, chambre/hamac sont ouverts aux quatre vents, y compris la salle de bain d’une certaine manière. Bien que protégée de ses quatre murs, une grande ouverture au dessus de la porte laisse passer l’air, et les araignées. Une en particulier fut très perturbante ; elle s’était installée dans les WC. Oui, dedans, entre le rabat et le haut de la cuvette (donc à l’abri du flush !). Ce fut très difficile. Je n’ai pas pour habitude de poser mes fesses « sur » une araignée. Apparement elle non plus, elle est partie au bout de 3 (longs) jours de cohabitation. Ouf ! C’est dans ces moments où une expression comme « chier en paix » prend tout son sens !
À part ça, c’est-à-dire araignées, cafards gros comme des moineaux (j’exagère à peine) (du moins, c’est l’impression qu’ils me font !) (j’aime pas les cafards…), et insectes en tout genre, la vie au grand air est bien agréable. Bon, je te l’accorde, le grand air caribéen est plus propice à ce genre de déclaration que la toundra sibérienne, et j’étais pleine de gratitude de me lever tous les matins dans cet environnement et d’y travailler.
Au boulot !
Parce que oui, M’sieurs Dames, wwoofer, c’est aussi et avant tout travailler ! Enfin, ne nous emballons pas non plus. Chez Jeff, le travail, c’est cool. Jeff est un hippie, un vrai, qui écoute les Grateful Dead à fond dans la camionnette, ça lui rappelle des souvenirs. Libertarien et hippie, sans sucre et sans gluten. Le moment le plus important de sa journée : la sieste ! On se lève tôt à la ferme, on bosse toute la matinée et la fin d’après-midi. Enfin en théorie, parce que la plupart du temps, après la sieste, il est trop tard pour aller bosser en fin d’apres. J’aime bien le concept.
Jeff a beaucoup voyagé en Amérique du Sud. Il s’est notamment installé au Brésil pendant quelques années, à travailler dans des fermes et apprendre le métier et les arbres. Je ne sais plus comment il a atterrit à Puerto Rico il y a 8 ans, mais ce n’était pas prémédité, une opportunité de la vie qu’il a saisie.
À l’origine, la ferme était prévue pour être une sorte de collection d’arbres exotiques rares. Seulement ce n’est pas très rentable, surtout les premières années. Alors il se met à fabriquer du dentifrice qu’il vend sur les marchés de Rincón, et de l’huile de coco, de l’anti-moustique fait maison, du thé bio en vrac qu’il reconditionne. Un jour, il découvre au détour de pérégrinations internétiques les bienfaits du cacao pour les dents. Tada ! Il va cultiver du cacao et faire du dentifrice au cacao ! Il y a déjà quelques arbres sur la propriété.
Le cacaoyer se cultive très facilement. C’est un arbre résistant qui produit des fruits rapidement, au bout de 4 ou 5 ans. Il n’abandonne pas l’idée des arbres rares, mais il faut bien que sa ferme soit rentable. Le chocolat vient donc s’ajouter aux moringa, carambole, clémentine, fruit de la passion, pamplemousse, abiu (la tuerie intersidérale du fruit !!!), banane, papaye, avocat, coco, curcuma, vétiver, et tous les autres dont j’ai oublié le nom et les propriétés. Tu remarqueras qu’il n’y a pas de légumes : trop de travail, mauvais pour la sieste.
Le travail à la ferme
En fait de travail, tu passes surtout ton temps à entretenir le terrain : élaguer, tondre, désherber. La saison humide est une lutte permanente contre les herbes qui envahissent les plants et les chemins à vitesse grand V. T’as pas fini de tondre d’un côté qu’il faut recommencer de l’autre. Et il m’aime pas ça, Jeff, les herbes qui poussent n’importe comment. Arrivant à la saison sèche, Jeff voulait s’assurer que tout serait propre et en ordre pour passer un hiver tranquille et s’assurer des siestes alanguies.
Un soir, nous avons eu droit à un bon gueuleton grâce à la visite d’un voisin. Fermier bio lui aussi, lui et Jeff ont passé une bonne partie de la soirée à s’extasier sur la machine à déchiqueter le bois toute neuve de Jeff. Je crois que cela s’appelle un broyeur, pour faire du woodchip. Comment ça marche ? Tu élagues, tu passes les branches dans la machine, et il en ressort des copeaux tout frais à repartir aux pieds des plantes. Cela concerve l’humidité, bien utile pendant la saison sèche, et accessoirement bloque la repousse de l’herbe.
Et c’est là où c’est devenu difficile ; ma mission consistait à transporter les branches élaguées par Jeff jusqu’à la machine. Quand c’est sur terrain plat, ce n’est pas vraiment un problème, tu y vas tranquille, à ton rythme, et le boulot avance. Mais CE terrain-là… Je devais transporter des branches de cacaoyer sur le chemin en haut de la parcelle. En haut. Genre une pente à 70°. D’abord, descendre. La pente, le tapis de feuilles mortes, les fruits du noni qui pourrissent sous les feuilles, piège à glissade assuré… À la fin, j’avais pris de l’assurance et je descendais sur le cul, façon toboggan. Beaucoup plus rapide et efficace, et fun ! Ensuite, se frayer un chemin au milieu des toiles d’araignées et attraper des branches, deux ou trois dans chaque main. Enfin, remonter. Je rampais presque. Mouais… je rampais tout court. Sécuriser l’ancrage des pieds, avancer un bras et caler la main encombrée de son fardeau dans le sol, l’autre bras, l’autre main, remonter un pied, l’autre, sécuriser, recommencer. J’en ai chié ! J’étais d’autant plus fière de moi quand j’eus fini, le lendemain. Tout ça pour que Jeff joue avec sa déchiqueteuse !!! Hé hé hé !
Heureusement que ce genre de taff était exceptionnel ! La plupart du temps, c’était beaucoup plus tranquille. Comme désherber. Totalement une autre ambiance. Moi, je m’asseyais carrément par terre au pied des arbres. C’était exactement un travail pour moi : lent, long, répétitif. Je ne vois pas pourquoi je m’inquiétais autant quant à mes capacités à wwoofer ! Et à l’occasion, planter et récolter. Tranquille, comme tu peux le voir dans la vidéo ci-dessous. Et si mon film te semble trop long, tu peux aussi le regarder en accéléré !
Au fait, c’est pas des yen-yens qui m’ont dévasté les jambes mais des fourmis. Je crois que je suis allergique aux fourmis. Une fois, alors que nous avions l’habitude de laisser s’entasser les prospectus dans la boite aux lettres, il me prit l’envie de finalement jeter la pile qui commençait à prendre beaucoup de place. J’agrippais le tas et v’là t’y pas que mes bras se font soudain envahir par une horde de fourmis enragées. J’avais dérangé leur nid. Elles m’ont bouffé les avant-bras pendant les quelques mètres séparant la boite aux lettres de la poubelle. Démangeaisons, rougeurs, gonflements tout moches, le médecin a conclu à une allergie. Je confirme.